A PORT MARS SANS HILDA

 

Au début, tout se goupilla à merveille. Un vrai rêve ! Aucun coup de pouce à donner. Aucune ficelle à tirer. Je n’eus qu’à laisser les choses suivre leur cours. C’est peut-être dès le départ que j’aurais dû subodorer la catastrophe.

C’était le mois de congé auquel j’avais droit. Un mois de travail, un mois de repos : tel est le principe en vigueur au service Galactique. Un excellent principe. Et tout à fait justifié. J’arrivai à Port Mars pour l’indispensable escale technique de trois jours avant de sauter dans la fusée en partance pour la Terre.

Normalement, Hilda – Dieu la bénisse, elle est l’épouse la plus accomplie dont il ait jamais été donné à un homme de s’enorgueillir –, Hilda aurait dû m’attendre et nous aurions eu trois jours à nous, charmant interlude placé sous le signe de l’intimité partagée. Le seul ennui, c’est que Port Mars est le trou le plus infernal du système solaire. Comme coin tranquille pour les interludes intimes, vous pouvez repasser ! Mais dites-moi un peu comment j’aurais pu expliquer cela à Hilda, hein ?

Or, cette fois, ma belle-mère – Dieu la bénisse, elle aussi… pour changer – tomba malade deux jours avant que je n’atteigne Port Mars et, la veille de l’atterrissage, je reçus un spatiogramme d’Hilda me prévenant qu’elle restait sur Terre avec sa maman et que, par exception, elle ne me rejoindrait pas.

Je lui expédiai par retour un spatiogramme où je lui exprimai mes regrets, mon affection et la fiévreuse anxiété dans laquelle l’état de sa mère me plongeait.

Je fis contact.

Et voilà : j’étais à Port Mars sans Hilda.

Ce n’était encore rien, comprenez-vous ? Rien que le cadre du tableau, le squelette. Restait, maintenant, à tracer des lignes et plaquer des couleurs à l’intérieur de ce cadre, à habiller le squelette de chair.

Aussi appelai-je Flora – Flora était indissociablement liée à certains capiteux épisodes du passé – et, à cette fin, j’entrai dans une cabine vidéo. Au diable l’avarice, bille en tête…

Il y avait dix chances contre une qu’elle soit sortie, qu’elle soit occupée ou que son vidéophone soit débranché. Ou même qu’elle soit morte.

Mais elle était chez elle, son vidéophone n’était pas débranché et elle était tout ce qu’il y a de vivante, ce n’est rien de le dire.

Elle n’avait jamais été plus séduisante. L’âge ne pouvait ni flétrir l’habitude ni éventer sa diversité infinie, comme disait je ne sais qui… à moins que ce ne soit quelqu’un d’autre. Et la robe qu’elle portait – ou, plutôt, qu’elle ne portait pas – y faisait beaucoup.

Était-elle contente de me voir ? m’informai-je.

— Max ! fit-elle d’une voix aiguë. Cela fait des années…

— Je sais, Flora. Mais je suis là. Entièrement à ta disposition si tu es libre. Tu ne devinerais jamais : je suis à Port Mars sans Hilda !

Elle poussa à nouveau un petit cri strident : « Ça alors, c’est formidable ! Viens vite. Je t’attends. »

Mes yeux s’écarquillèrent quelque peu. Je n’en avais pas espéré tant. « Tu veux dire que tu es libre ? »

Il faut que vous compreniez que Flora n’était jamais libre quand on l’appelait impromptu. Un préavis était indispensable. Et un préavis sérieux. Flora, c’était la fille courue, voyez-vous ?

— Oh ! C’est-à-dire que j’ai un vague et insipide petit rendez-vous, Max, répondit-elle. Le genre barbant. Mais je m’arrangerai. Arrive tout de suite.

— J’arrive, m’exclamai-je au comble de la béatitude.

Flora était de la catégorie des filles qui… Croyez-moi ou ne me croyez pas, elle vit sous gravité martienne. Soit 40 % de la gravité terrestre. Le gadget lui permettant de neutraliser le champ pseudo-gravifique de Port Mars n’est pas donné, bien sûr, mais laissez-moi vous dire en passant que ça en valait la peine. Et elle n’avait pas de difficultés pour régler les factures. S’il vous est arrivé de serrer une fille dans vos bras sous 0,4 g, vous n’avez pas besoin d’explications. Dans le cas contraire, les explications ne vous serviraient à rien. Et je serais navré pour vous.

Tenez… les nuages qui flottent…

Par-dessus le marché, il faut que la fille en connaisse un rayon pour se débrouiller sous faible gravité. Dans ce domaine, Flora était championne. Qu’on me comprenne bien : il n’est pas dans mes intentions de m’étendre sur mes aptitudes personnelles. Mais elle ne m’avait pas supplié de venir, elle n’avait pas annulé des engagements antérieurs parce qu’elle était en panne ! Elle n’était jamais en panne.

Je coupai la communication. Seule la perspective de la voir en chair et en os – et quand je parle de chair ! – put me contraindre à faire disparaître de l’écran l’image de Flora avec une telle précipitation. Je sortis de la cabine.

C’est à ce moment précis, à cette fraction de seconde précise, que le signe précurseur de la catastrophe imminente se manifesta.

Sous la forme du crâne chauve de ce fumier de Rog Crinton, le patron de notre antenne martienne, calvitie miroitant au-dessus d’une paire d’yeux en boule de loto d’un bleu délavé et d’une moustache brunâtre qui ne l’était pas moins, le tout s’insérant dans un visage jaunâtre : le père Rog Crinton en personne qui avait une trace de sang slave dans les veines et dont la moitié des agents du Service croyaient dur comme fer que son second prénom était Fandepute.

Comme mon congé avait commencé à l’instant même où j’avais posé le pied sur l’aire d’atterrissage, je m’abstins de tomber à quatre pattes et de plonger le front dans la poussière. Je me contentai de dire avec une politesse normale : « Quel mauvais vent vous amène ? Je suis pressé. J’ai rendez-vous.

— Vous avez rendez-vous avec moi, répondit-il. J’ai un petit boulot à vous confier. »

J’éclatai de rire et lui expliquai sans lui faire grâce d’aucun détail anatomique où il pouvait se le flanquer, son petit boulot. Je lui proposai même un maillet pour faciliter l’opération et conclus par ces mots : « Je suis navré mais c’est mon mois de repos, mon cher.

— Alerte rouge, mon cher », rétorqua-t-il. Autrement dit : tintin, ceinture et balai de crins pour mon congé. Je n’en croyais pas mes oreilles.

— Rien à faire, Rog ! Il se trouve que j’ai, moi aussi, mon alerte rouge personnelle.

— Veux pas le savoir.

— Pour l’amour du ciel, Rog, vous ne pouvez pas trouver quelqu’un d’autre ?

— Vous êtes le seul agent de catégorie A actuellement sur Mars.

— Eh bien, appelez la Terre ! Ils entassent les agents comme si c’étaient des éléments de micropiles, au quartier général !

— L’affaire en question doit être réglée avant 23 heures. Allons, Max… vous pouvez bien sacrifier trois heures ?

Je me pris la tête à deux mains. Il ne pouvait pas se rendre compte ! « Laissez-moi donner un coup de fil, voulez-vous ? »

Je réintégrai la cabine, lui adressai un regard flamboyant et ajoutai : « Un coup de fil privé ! »

Flora réapparut sur l’écran tel un mirage sur un astéroïde.

— Un contretemps, Max ? Ne viens pas me dire que tu as un empêchement ! J’ai annulé mon rendez-vous.

— Je vais venir, ma petite Flora. Je te promets. Mais j’ai… un imprévu.

Elle proféra d’un air vexé l’inévitable question.

— Absolument pas. Il ne s’agit pas d’une autre fille. Il ne peut y avoir d’autre fille dans la même ville que toi, voyons ! Des personnes du sexe féminin, je ne dis pas, mais pas des filles ! C’est une histoire professionnelle qui me retient, mon chou. Attends-moi. Je ne tarderai pas.

— Parfait, fit-elle.

Mais sur un tel ton que ça n’avait pas l’air parfait du tout et que… gare à moi !

Je sortis de la cabine. « Parfait, Rog Fandepute. Quelle espèce de merdier m’avez-vous concocté ? »

Nous gagnâmes le bar du port spatial et nous installâmes dans un box insonorisé.

— Le Géant d’Antarès en provenance de Sirius va faire contact dans une demi-heure exactement. À vingt heures, temps local.

— Bon.

— Trois hommes, entre autres, débarqueront pour attendre le Dévoreur d’Espace qui doit se poser à vingt-trois heures en provenance de la Terre et décoller un peu plus tard à destination de Capella. Les trois hommes en question monteront à son bord et seront dès lors soustraits à notre juridiction.

— Je vois.

— Entre vingt heures et vingt-trois heures, ils seront dans une salle d’attente spéciale. En votre compagnie. J’ai une photo tridimensionnelle de chacun d’eux. Vous n’aurez donc aucune difficulté à les identifier. Il vous appartiendra de déterminer pendant ces trois, heures d’escale lequel de ces messieurs transporte de la contrebande.

— Quelle sorte de camelote.

— La pire. De la Spatioline modifiée.

— De la Spatioline modifiée ?

J’en étais comme deux ronds de flan. La Spatioline, je connaissais. S’il vous est déjà arrivé de voyager dans l’espace, vous connaissez aussi. Et, au cas où vous seriez un rampant n’ayant jamais quitté la Terre, sachez que tout le monde en a besoin pour son premier voyage dans l’espace, que presque tout le monde en a besoin pour ses dix premiers voyages dans l’espace et que des tas de gens en ont besoin toute leur vie chaque fois qu’ils vont dans l’espace. Sans Spatioline, on souffre du vertige associé à la chute libre, d’angoisses à vous faire hurler et de psychose semi-permanente. Avec elle, on est peinard comme Baptiste. Et il n’y a ni risque d’accoutumance, ni effets secondaires, ni contre-indications. La Spatioline est quelque chose d’idéal, d’essentiel et d’irremplaçable. Quand vous avez des doutes, prenez de la Spatioline.

— Eh oui, fit Rog. De la Spatioline modifiée. On peut l’altérer chimiquement grâce à une réaction simple que le premier venu est capable de réaliser dans sa cave pour la transformer en une drogue d’une potentialité titanesque créant l’accoutumance dès la première injection. Ce produit est alors aussi dangereux que les alcaloïdes les plus néfastes.

— Et on vient tout juste d’apprendre son existence ?

— Non. Il y a des années que le Service est au courant. Mais nous nous arrangeons pour étouffer l’affaire chaque fois qu’un chercheur découvre les propriétés de cette substance. Toutefois, à présent, les choses sont allées trop loin.

— C’est-à-dire ?

— L’un des personnages qui vont faire escale ici même, transporte sur lui une certaine quantité de Spatioline modifiée. Les chimistes capelliens – et je vous rappelle que le système de Capella n’appartient pas à la Fédération – analyseront le spécimen et étudieront les moyens de synthétiser massivement le produit. Alors, nous nous trouverons devant l’alternative suivante : ou bien combattre la menace d’intoxication la plus grave que nous ayons jamais connue, ou bien l’éliminer en l’arrêtant à la source.

— En stoppant la production de Spatioline ?

— Exactement. Et supprimer la Spatioline, c’est donner le coup de grâce à l’astronavigation.

Je décidai de ne pas y aller par quatre chemins. « Lequel de ces trois individus est le passeur ? », demandai-je.

Rog eut un sourire nauséabond.

— Si nous le savions, aurions-nous eu besoin de faire appel à vos services ? Ce sera à vous de le découvrir.

— Et vous avez besoin de moi pour un travail comme ça ? Pour fouiller un suspect ?

— Si on se trompe de bonhomme, c’est l’oreille fendue jusqu’au sternum. Chacun de ces messieurs est un personnage important sur sa planète. Il s’agit respectivement d’Edward Harponaster, de Joacquin Lipsky et d’Andiamo Ferrucci. Ces noms vous disent-ils quelque chose ?

Il avait raison. J’avais entendu parler de ces trois olibrius. Et il y a de fortes chances pour que vous les connaissiez de réputation, vous aussi. Oui, c’étaient des gens importants. Très importants. Et que l’on ne pouvait accuser sans preuves.

— Pourquoi un de ces gars-là se livrerait-il à ce genre de trafic…

— Il y a des trillions de crédits à la clé. C’est une raison suffisante pour que chacun d’eux puisse être dans la combine. Et l’un d’eux y est. Jack Hawk a réussi à en avoir l’assurance avant de se faire descendre.

— Jack Hawk est mort ?

— Oui. Et c’est l’un de ces trois types qui a organisé son assassinat. À vous de trouver lequel. Mettez la main sur le client qui nous intéresse et vous aurez de l’avancement, vous aurez droit à une augmentation, vous vengerez ce pauvre Jack Hawk et vous serez le sauveur de la galaxie. Trompez-vous de bonhomme et il y aura une terrible crise interstellaire, vous serez limogé et vous vous retrouverez sur la liste noire d’ici à Antarès.

— Supposons que je ne mette la main sur personne ?

— En ce qui concerne le Service, ce serait exactement comme si vous vous étiez trompé de client.

— Si je comprends bien, il faut que j’emballe le vrai coupable sous peine d’avoir la tête coupée ?

— En petites tranches. Vous commencez à piger la situation, Max.

Rog avait toujours été une mocheté mais il ne m’avait jamais encore paru aussi laid. La seule consolation que j’éprouvai en le contemplant était de songer qu’il était marié, lui aussi, et qu’il vivait toute l’année à Port Mars avec sa femme. Et il le mérite ! Je suis peut-être dur mais il le mérite… Dès qu’il se fut éloigné, je rappelai Flora vite fait.

— Eh bien ? commença-t-elle.

Les fermetures magnétiques de sa robe étaient entrebâillées juste ce qu’il fallait et sa vois avait la même douceur à vous donner des frissons que son académie.

— Je ne peux rien dire au téléphone, mon petit, mais il s’agit d’une affaire dont je suis forcé de m’occuper. Tu comprends ? Écoute-moi : tu raccroches et je réglerai cette histoire même si je dois pour cela plonger dans le Grand Canal et gagner la calotte glaciaire à la nage et en caleçon. Même si je dois arracher Phobos du ciel avec mes ongles. Même si je dois me couper en petits morceaux et m’expédier par la poste.

— Mince alors ! Si j’avais su qu’il faudrait que j’attende…

Je fis la grimace. Elle était bouchée à la poésie. En fait, c’était un être simple, un être d’action. Mais après tout, pour flotter sous basse gravité sur un odorant océan de jasmin en compagnie de Flora, la sensibilité poétique n’était pas un préalable absolument indispensable.

— Attends-moi, Flora, fis-je d’une voix pressante. J’aurai vite fait. Et tu verras ce que je te réserve !

J’étais ennuyé, bien sûr, mais pas encore inquiet. Rog m’avait purement et simplement laissé choir au moment où je me posais la question de savoir comment j’identifierais le coupable.

C’était facile. J’aurais dû le rappeler pour lui exposer ma tactique mais aucune loi n’interdit à un homme de boire un demi-flip ou de préférer qu’il y ait de l’oxygène dans l’air qu’il respire. Cela me prendrait cinq minutes et ensuite… à moi Flora ! Je la rejoindrai avec un léger retard, peut-être, mais avec de l’avancement, une augmentation et une grosse bise du Service sur les deux joues.

Oui, c’était tout simple. Les grands manitous de l’industrie se baladent rarement dans l’espace. Ils préfèrent utiliser le transvidéocepteur. Quand ils doivent participer exceptionnellement à une conférence interstellaire au sommet, ce qui était probablement le cas de mon trio, ils prennent de la Spatioline. D’abord, parce qu’ils n’ont pas une expérience suffisante des voyages pour se risquer dans le cosmos sans biscuit. Ensuite, parce que la Spatioline est la façon la plus coûteuse de voyager et que les nababs de l’industrie choisissent immanquablement ce qu’il y a de plus coûteux. Je connais leur psychologie.

Cela dit, ce raisonnement n’était valable que pour deux d’entre eux. Celui qui passait la camelote en fraude ne pouvait pas courir le risque d’absorber de la Spatioline, même s’il devait affronter le mal de l’espace. En effet, sous l’influence de ce produit, il pourrait sortir la drogue, se rendre ou raconter des tas d’imbécillités. Il lui était indispensable de demeurer maître de lui.

Pas plus compliqué que cela !

Le Géant d’Antarès se pointa à l’heure dite. Lipsky fut introduit le premier dans la salle d’attente. Il avait de grosses lèvres écarlates, des joues matelassées, des sourcils très noirs et ses cheveux commençaient à peine à s’argenter. Il se borna à me regarder et s’assit. Rien de plus. Il était imbibé de Spatioline comme une éponge.

— Bonsoir monsieur, lui dis-je.

Il me répondit d’une voix rêveuse : « Cieux pudichromes qui galvaudez dans les bois de roses tuméfiés d’hallalittérature. »

C’était le syndrome classique de la Spatioline. Elle a pour effet de mettre le cerveau en roue libre. Le sujet s’abandonne à l’automatisme verbal et à l’association phonétique.

Entra ensuite Andiamo Ferrucci : moustache noire, longue silhouette flasque, teint olivâtre, visage grêlé. Il s’assit.

Je repris la parole :

— Vous avez fait bon voyage ?

— Âge tendre et tête de bois de campêche à la mouche.

— Mouchoir de poche revolver vert émeraude ôte-toi de là que je m’y mette d’école, renchérit Lipsky.

Je souris. Le malfrat était Harponaster. Mon pistaiguille était dissimulé à l’intérieur de mon poing et je n’avais qu’un geste à faire pour paralyser le suspect avec mon magnéto-ruban.

Harponaster entra à son tour. Il était maigre, parcheminé et, encore qu’il fût presque chauve, il paraissait beaucoup plus jeune que sur la photo tridimensionnelle. Et il était bourré de Spatioline jusqu’aux yeux !

— Merde ! murmurai-je.

Il prit le relais : « Air de fête bamboula lalala itou Tank-Amon commandement.

— Demandez et l’on vous ouvrira l’hôtel Aviv, fit Ferrucci.

— Vive la quille », conclut Lipsky.

Je les dévisageai successivement tous les trois tandis qu’ils se renvoyaient la balle en formules de plus en plus brèves. Enfin, ils se turent.

Il n’y avait pas de problème ; l’un d’eux jouait la comédie. Celui-là avait prévu que le fait de ne pas avoir pris de Spatioline le trahirait. Sans doute avait-il soudoyé un quelconque fonctionnaire qui lui avait fait une injection saline ou je ne sais quoi à la place.

Oui, l’un des trois était un simulateur. Il n’était pas difficile de miner la spatiolinomanie. Les chansonniers de la télé subéthérique utilisaient régulièrement cette astuce. Les libertés que l’on pouvait prendre avec la morale en vigueur grâce à ce subterfuge étaient quelque chose d’étonnant. Vous ne pouvez pas ne pas avoir vu un de ces numéros.

Comme je dévisageai mes trois bonshommes, je sentis un premier frisson à la base de mon crâne. Un frisson qui voulait dire : Et si tu n’alpagues pas le bon ?

Il était vingt heures trente et un certain nombre de choses méritaient d’être prises en considération : ma carrière, ma réputation et ma tête qui commençait à salement branler dans le manche. Je décidai de réserver ces réflexions pour plus tard et songeai à Flora. Elle ne m’attendrait pas éternellement. Tout compte fait, il y avait de fortes chances pour qu’elle ne m’attende pas au-delà d’une demi-heure.

Le simulateur pourrait-il continuer à se laisser aller à ces libres associations verbales si je le poussais discrètement sur un terrain dangereux ?

— Le plancher est recouvert d’un bien joli tapis qui ressemble à du droguet, dis-je.

— Drogue est ogre grosso modo ré mi fa Sol système à sauver, déclara Ferrucci.

— Vénalité ite missa est esturgeon, enchaîna Lipsky.

— Onze et trois font seize dans la marmite à soupe, reprit le premier.

— Soupçon d’un noir forfait féodal dalle de pierre, fit Harponaster.

— Pierre de lune unisson.

— Son et lumière.

Suivirent quelques grognements qui finirent par s’éteindre.

Je fis un nouvel essai prudent. Plus tard, ils se souviendraient de tout ce que j’avais dit et il fallait que mes propos demeurent anodins.

— Ce bâtiment est bien conçu. Il a beaucoup d’espace en ligne.

— L’ignorant rancunier niait la nielle ailée élémentaire…

Interrompant Ferrucci, je me tournai vers Harponaster et répétai : « Beaucoup d’espace en ligne.

— L’igname amoureux heurta le tamanoir hanté… » Je plantai mon regard dans celui de Lipsky et lançai pour la troisième fois : « Beaucoup d’espace en ligne.

— L’ignoble vignoble obligatoire et goitreux traumatise les miasthmatiques.

— Mathématique tic-tac tactique stratégie gigolo.

— Holocauste coxalgie.

— Giométrie.

— Triporteur.

— Porteur d’eau. »

Je fis encore quelques tentatives qui n’eurent pas plus de succès. Le simulateur, quel qu’il fût, s’était entraîné à la technique de l’association des idées ou ; bien il était naturellement doué pour cela. Son cerveau était débrayé et il laissait les mots se former librement. Et il savait ce que je cherchais : cela stimulait son inspiration. Si le mot clé « drogue » n’avait rien donné, mon « espace en ligne », allitération de « spatioline », trois fois répété aurait dû déclencher une réponse. Avec les deux autres, j’étais tranquille. Mais lui savait à quoi s’en tenir.

Et il se moquait de moi. Tous trois avaient lâché des formules susceptibles d’être interprétées comme le signe d’un sentiment de culpabilité : « drogue est ogre », « Sol système à sauver », « vénalité », « soupçon d’un noir forfait »… Pour deux de ces messieurs, ce n’était qu’un bredouillage sans signification, des sonorités enfilées au petit bonheur mais le troisième s’amusait comme un petit fou.

Comment allais-je le coincer ? Une poussée de haine me fit frémir et mes doigts se crispèrent. Ce salaud-là était en train d’ébranler la galaxie sur ses bases ! Pire encore : il me retardait alors que j’avais rendez-vous avec Flora.

Certes, je pouvais les fouiller. Les deux qui avaient effectivement pris de la Spatioline ne feraient pas un geste pour m’en empêcher. Ils n’éprouvaient rien : ni émotion, ni peur, ni anxiété, ni haine, ni passion, ni désir… pas même celui de se protéger. Et si l’un d’eux m’offrait ne serait-ce que l’ombre d’une résistance, il se trahirait du même coup. Ce serait mon bonhomme. Mais, plus tard, les innocents se rappelleraient ce qui se serait passé.

Je poussai un soupir. Si j’employais cette méthode, j’identifierais le trafiquant, d’accord, mais je serais bon pour passer à la moulinette. Il y aurait un de ces coups de balai dans le Service, je ne vous dis que cela ! Ça ferait un foin terrible d’un bout à l’autre de la galaxie et, avec tout ce remue-ménage, le secret de la Spatioline modifiée s’ébruiterait. Alors… Bien sûr, il y avait une chance pour que je mette la main sur le coupable du premier coup. Une chance sur trois…

Bon Dieu ! Je jetai un coup d’œil affolé à ma montre. Vingt et une heure quinze… Où diable le temps était-il passé ? Oh ! Bon Dieu de bon Dieu ! Oh merde ! Oh Flora !

Je n’avais pas le choix : je bondis jusqu’à la cabine du bigophone. Histoire de lui passer un petit coup de fil pour la tenir en haleine. À supposer qu’il y ait encore quelque chose à tenir en haleine.

Je n’arrêtais pas de me répéter : elle ne répondra pas.

J’essayai de me préparer à cette éventualité. Il y avait d’autres filles. Il y avait d’autres…

Et diantre non ! Il n’y en avait pas d’autres !

D’abord, si Hilda avait été à Port Mars, je n’aurais pas pensé une seconde à Flora et cela n’aurait eu aucune importance. Seulement… j’étais à Port Mars sans Hilda et j’avais rendez-vous avec Flora. Flora et un corps qui était la somme de toutes les douceurs, de tous les arômes et de toutes les fermetés. Flora, une chambre à faible gravité et, tout autour, un je ne sais quoi qui vous donnait l’impression de tomber en chute libre dans un tiède océan de meringues parfumées au champagne…

Le voyant d’appel clignotait, clignotait et je n’osais pas raccrocher.

— Réponds ! Réponds ! Elle répondit.

— C’est toi ! fit-elle.

— Bien sûr, ma toute belle. Qui veux-tu que ce soit d’autre ?

— C’aurait pu être des tas d’autres gens. Des gens qui viendraient me voir, eux !

— J’ai juste un dernier petit détail à régler pour cette affaire.

— Quelle affaire ? Quelqu’un qui veut des plastons ?

Il me fallut un instant pour comprendre.

La mémoire me revint brusquement. Je lui avais dit un jour que j’étais représentant en plastons. Le jour où je lui avais apporté cette chemise de nuit en plaston qui était tellement chou ! À ce souvenir, j’eus encore plus mal là où j’avais déjà assez mal comme ça.

— Écoute… Accorde-moi encore une demi-heure. Ses yeux s’embuèrent. « Je suis toute seule-toute seule.

— Je te promets une compensation. »

Vous comprendrez à quel point j’étais désespéré quand je vous aurai dit que mes pensées commençaient à divaguer sur des chemins qui ne pouvaient conduire que chez le bijoutier et ce en dépit du fait qu’un trou important dans mon compte en banque sauterait aux yeux perçants de Hilda comme la nébuleuse de la Tête de Cheval au beau milieu de la voie lactée.

— J’avais un rendez-vous tout ce qu’il y a d’intéressant, reprit-elle, et je me suis décommandée.

Je protestai : « Tu m’as parlé d’un vague petit rendez-vous insipide du genre barbant ! »

J’avais commis une erreur. Je m’en rendis compte à l’instant même où j’ouvrais la bouche.

— Un vague petit rendez-vous insipide et barbant ! piailla-t-elle.

C’étaient les propres termes qu’elle avait employés mais, quand on discute avec une femme, il n’y a rien de pire que d’être dans son bon droit.

— Comment ! Voilà quelqu’un qui me promet de m’offrir une propriété sur la Terre…

Et cela continua sur ce ton. Elle en avait plein la bouche, de cette propriété sur la Terre. Il n’y a pas une fille à Port Mars qui ne fasse des pieds et des mains pour se faire offrir une propriété sur la Terre et celles qui sont parvenues à leurs fins sont aussi nombreuses que les pommes sur un fraisier. Mais l’espoir s’épanouit éternellement dans la poitrine humaine et, en ce qui concernait Flora, il avait largement la place de s’épanouir.

Je tentai de l’arrêter mais en vain.

Elle finit quand même par arriver à sa conclusion : « Et me voilà toute seule ! Sans personne. Que penses-tu que va devenir ma réputation ? » Sur ces mots, elle raccrocha.

Elle avait raison, pardi ! J’avais l’impression d’être le dernier des butors de la galaxie. Si le bruit se répandait que quelqu’un lui avait posé un lapin, on en déduirait qu’elle était de celles à qui l’on pose des lapins, qu’elle perdait la main. Il y avait de quoi ruiner une fille.

Je regagnai la salle d’attente. Le larbin en faction devant la porte me salua au passage.

Je dévisageai mes trois industriels en me demandant dans quel ordre je les étranglerais en prenant mon temps si le ciel voulait que je reçoive l’ordre de les étrangler. Je commencerais par Harponaster, peut-être bien. Il avait un cou maigre aux tendons saillants autour duquel les doigts se riveraient sans bavures et une pomme d’Adam effilée constituant une bonne prise pour les pouces.

Ces spéculations firent remonter mon moral d’un tout petit cran et la violence de mon désir meurtrier était telle que je poussai un soupir nostalgique en murmurant : « Bigre ! »

Cela suffit pour qu’ils redémarrent. Ce fut Ferrucci qui commença :

— Hygrométrie tricycle cyclamen ménestrel ellébore…

Le cou décharné d’Harponaster frémit.

— Bora-Bora de ville et rat des champs chansons à boire et à manger.

Lipsky le relaya :

— Geyser de flammes amantes menthe à l’eau au dodo.

— Dominus vobiscum.

— Gomme arabique.

— Bique et pique et colégramme.

— Rame de pois.

— Poids et haltères.

— Térébenthine.

— Inhérent.

— Ran-tan-plan.

Silence… Ils me regardaient. Je les regardais. Ils étaient vides d’émotions – en ce qui concernait deux d’entre eux – et j’étais vide d’idées.

Et le temps passait.

Je continuai de les regarder en songeant à Flora. Et réalisai brusquement que, à présent, je n’avais plus rien à perdre, que j’avais déjà tout perdu. Alors, autant leur parler d’elle.

— Messieurs, commençai-je, il y a dans cette ville une dame dont je tairai le nom de peur de la compromettre. Permettez-moi de vous la dépeindre.

Et je m’y employai. Les deux heures qui venaient de s’écouler avaient fait de moi un véritable champ de forces si exacerbées que la description que je leur donnai de Flora devenait une sorte de poème semblable à un geyser jaillissant de je ne sais quelle source occulte de virilité tapie quelque part au plus profond des abysses de mon subconscient.

Ils étaient assis pétrifiés en face de moi, on aurait presque dit qu’ils m’écoutaient. C’était à peine s’ils m’interrompaient. Il existe une espèce de code de courtoisie qu’appliquent les usagers de la Spatioline : ils n’interrompent pas celui qui a la parole. C’est pour cela qu’ils parlent chacun à leur tour.

Naturellement, il m’arrivait par instants de ménager une pause car le thème que je développais était si poignant que j’éprouvais parfois le besoin de m’attarder un peu. Alors, l’un d’eux avait le temps de lâcher quelques mots avant que je ne me ressaisisse.

— Cette jeune personne, messieurs, habite une maison munie d’un dispositif de faible gravité.

Peut-être vous demandez-vous à quoi bon la faible gravité ? J’ai l’intention de vous l’expliquer car si vous n’avez jamais eu l’occasion de passer un après-midi en tête-à-tête avec une fille galante de Port Mars, vous ne pouvez imaginer…

Mais je fis en sorte qu’il ne leur fût pas nécessaire de mettre leur imagination à contribution : en m’écoutant, c’était exactement comme s’ils y étaient. Plus tard, ils se souviendraient de ce que je leur avais raconté mais je doutais fort que l’un ou l’autre des innocents m’en tiendrait rigueur. Il y avait de fortes chances, même, pour qu’ils me supplient de leur donner certain numéro de vidéophone.

Je poursuivis sur ce ton, m’attachant amoureusement aux détails et parlant avec des accents d’une tristesse sincère, jusqu’à ce que le haut-parleur annonçât l’arrivée du Dévoreur d’Espace.

À ce moment, je dis à haute voix : « Debout, messieurs. »

Ils se levèrent en chœur, firent face à la porte et se mirent en marche. Quand Ferrucci passa devant moi, je lui posai la main sur l’épaule. « Pas vous, infâme criminel ! », m’écriai-je. Et, avant qu’il n’eût eu le temps de respirer deux fois, ses poignets étaient pris dans l’étau de mon serpentin magnétique.

Il se démena comme un beau diable. Il n’était pas sous l’influence de la drogue, lui. On découvrit la Spatioline modifiée qu’il transportait dans de minces sachets de matière plastique couleur chair collés sur la face interne de ses cuisses et sur lesquels étaient implantées des touffes de poils follets. C’était absolument invisible. On ne se rendait compte de la présence de ces sachets qu’au toucher, et encore fallut-il se servir d’un couteau pour en être sûr.

Un peu plus tard, Rog Crinton, épanoui et à moitié fou de soulagement, agrippa le revers de ma veste dans une étreinte mortelle. « Comment avez-vous réussi ? Qu’est-ce qui l’a trahi ? »

J’essayai de me dégager. « L’un des trois simulait le délire dû à la Spatioline, répondis-je. J’en avais la certitude. Alors je leur ai dit… » Attention… Il fallait être prudent. C’étaient là des détails qui ne regardaient pas cet abruti, n’est-ce pas ? « …Euh… je leur ai raconté des histoires poivrées, vous saisissez ? Deux d’entre eux ne réagissaient pas : ils étaient bourrés de Spatioline. Mais le souffle de Ferrucci s’accélérait et je voyais des gouttes de sueur perler sur son front. J’ai mis tout le paquet et il a réagi. Ce qui signifiait qu’il n’était pas drogué. Quand ils se sont levés pour monter à bord de l’astronef, j’étais sûr de mon affaire et je l’ai arrêté. Maintenant, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me lâcher. »

Il me lâcha et il s’en fallut de peu que je ne dégringole à la renverse.

J’étais prêt à décoller. Mes pieds piaffaient d’impatience. Pourtant, je me retournai.

— Dites donc, Rog, pourriez-vous me signer un chèque de mille crédits que vous me donnerez de la main à la main… pour services rendus au Service ?

Ce fut à ce moment que je réalisai que le soulagement et un sentiment de gratitude extrêmement éphémère l’avaient effectivement déboussolé car il me répondit : « Bien sûr, Max, bien sûr ! Si vous voulez dix mille crédits, vous les aurez.

— Oh oui ! Je les veux. Je les veux, je les veux. » Il remplit un chèque officiel du Service (payez au porteur la somme de dix mille crédits) négociable à peu près partout dans la galaxie. Croyez-moi si vous voulez : il souriait en me le donnant. Et moi, je souriais en le prenant, vous pouvez être tranquille.

Comment se débrouillerait-il pour passer ce chèque en comptes, c’était son affaire. Pour moi, l’important c’était qu’il passerait… sous le nez d’Hilda.

Je fis un dernier stage dans la cabine du vidéophone. Je n’osais pas prendre le risque de faire le mort jusqu’au moment d’arriver chez Flora. Le trajet demandait une demi-heure, juste le temps nécessaire pour qu’elle convoque quelqu’un d’autre… si ce n’était déjà fait.

Faites qu’elle réponde ! Faites qu’elle réponde ! Faites qu’elle…

Elle répondit. Mais elle était en tenue de ville. Elle se préparait à sortir : deux minutes plus tard, je l’aurais manquée.

— Je sors, m’annonça-t-elle. Il existe encore des hommes qui savent se comporter décemment. Dorénavant, je souhaite ne plus vous voir. Je souhaite même que mes yeux ne se posent plus jamais sur vous. Je vous serais infiniment reconnaissante, monsieur Jenesaisqui, de bien vouloir dégager ma ligne et vous abstenir à l’avenir de la souiller avec…

Moi, je ne disais rien. J’étais simplement planté devant l’appareil, retenant mon souffle, le chèque bien en évidence. Sans bouger. Comme ça.

Et, de fait, au moment où elle prononçait le mot « souiller », elle se pencha pour mieux voir. C’était une fille qui manquait d’instruction mais elle était capable de lire « dix mille crédits » plus rapidement que tous les étudiants en licence du système solaire.

— Max ! s’exclama-t-elle, c’est pour moi ?

— C’est pour toi, mon loulou. Jusqu’au dernier zéro. Ne t’avais-je pas dit que j’avais une petite affaire à régler. Je voulais te faire la surprise.

— Oh, Max, ce que tu es chou ! Tu sais, ce que je disais, c’était juste histoire de causer. C’était pour rigoler. Dépêche-toi… Je t’attends.

Elle ôta son manteau et quand Flora ôte son manteau, c’est un spectacle tout ce qu’il y a de passionnant.

— Et ton rendez-vous ?

— Je te répète que c’était pour rire.

Elle laissa glisser lentement son manteau sur le plancher et se mit à jouer avec une broche qui semblait destinée à maintenir la chose qui faisait office de robe.

— J’arrive, balbutiai-je péniblement.

— Avec tous ces crédits au grand complet ? ajouta-t-elle, la mine friponne.

— Il n’en manquera pas un à l’appel.

Je raccrochai, mis le pied hors de la cabine et le piège se referma définitivement. Quelqu’un m’appela.

— Max ! Max !

Quelqu’un se précipitait vers moi en courant. « Rog Crinton m’a dit que je te trouverai là. Maman va beaucoup mieux. Alors, j’ai pris un passage spécial à bord du Dévoreur d’Espace. Qu’est-ce que c’est que ces dix mille crédits ? »

Je ne me retournai pas.

Je murmurai : « Bonjour, Hilda. »

J’étais ferme comme un roc. Enfin, je pivotai sur mes talons et j’accomplis l’exploit le plus extraordinaire de toute ma carrière. Jamais au cours de ma sacré bon Dieu d’existence de bon à rien passée à cavaler de planète en planète je n’avais fait quelque chose d’aussi difficile. Je souris.

Histoires Mystérieuses
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